En ce jour où nous évoquons la bataille de Diên Biên Phu, nous sommes étreints par un sentiment où il entre autant d'exaltation que de tristesse. Notre coeur est partagé.
Exaltation devant l'un des beaux exemples de courage des soldats français. Tristesse que ce courage ait rencontré tant d'indifférence, tant d'incompréhension de la part de la Nation. L'anniversaire de cette ultime bataille ranime le souvenir de tous les combattants du Corps expéditionnaire, de toutes armes, de tous grades, qu'ils fussent coloniaux ou légionnaires, marins, aviateurs ou supplétifs indochinois. Tous furent français par le sang versé, par la souffrance, par l'idéal et ils appartiennent à une même fraternité. Sur les deltas et les montagnes, dans les rizières, la jungle et les forêts, tous mêlèrent leurs rêves et leurs sacrifices.
A côté de défaites comme Diên Biên Phu ou Cao Bang, connues pour avoir suscité des héros motivés par l'honneur militaire et l'énergie du désespoir, n'oublions pas les combats plus obscurs. Leurs noms exotiques ne parlent qu'à de rares survivants. Ils dessinent tous une géographie du sacrifice : That Khe, Coc Xa, Hoa Binh, Tay Ninh, la Rivière Noire, le Fleuve Rouge, la Plaine des Joncs, les Marais de Camau, la Route coloniale N°1, que les soldats surnommaient « la rue sans joie », la RC4 récemment évoquée par JeanMarie Rouart qu'ils appelaient « la route de la mort », le col des Nuages, celui de Lung Phai, si propices aux embuscades. N'oublions pas, plus anonymes encore, ces soldats de 20 ans qui défendaient les fortins bâtis à l'orée des villages ou accrochés à des pitons calcaires encerclés par la jungle, à 14.000 km de leur patrie. Sous un soleil sans pitié ou sous la pluie tiède des moussons, seuls avec leur drapeau, ils montrèrent un courage d'autant plus poignant qu'il fut sans témoins et reste sans mémoire.
Ils nous ont communiqué leur enthousiasme juvénile. Cette guerre tragique, ils voulaient la voir comme une belle aventure. Beaucoup avaient répondu à l'appel de l'exotisme, du romanesque. Ils cherchaient, loin de leur terre natale, un sens à leur vie. Ce pays si beau, si attachant qui flattait leur imagination, leur a inspiré de la tendresse et parfois de la passion. Ils ont vécu des moments d'exception qu'ils payèrent au prix fort, celui de leur vie.
Notre reconnaissance, nous devons la proclamer d'autant plus haut que ces soldats, nos frères, donnent souvent l'impression d'être des soldats oubliés, des morts sans sépulture. Et nous la devons aussi aux survivants, mutilés, prisonniers des camps ; à ceux qui ont versé leur sang ou qui sont restés blessés dans leur âme. Au-delà de la vicissitude des combats, des humiliations d'une guerre perdue par la politique, ces soldats malheureux ont illustré des valeurs éternelles. Face à un adversaire dont la bravoure fut égale à la leur, ils nous rappellent que « c'est la cendre des morts qui créa la Patrie ».


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