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Le difficile partage des eaux du Mékong

Dès lors que les pays riverains du Mékong inférieur - Thaïlande, Cambodge, Laos, Vietnam - décidaient de s'associer pour aménager le Mékong et pour obtenir de ses eaux le meilleur usage possible, il convenait qu'un accord négocié fixât les règles de répartition entre les partenaires des droits de chacun vis à vis du trésor commun constitué par le fleuve.
Cette coopération des quatre prit forme avec la création en 1957, sous l'égide de l'O.N.U., d'un Comité du Mékong.
L'un des objectifs à long terme, particulièrement ambitieux, consistait en la construction sur le cours principal de grands barrages qui devaient permettre, en plus de la production d'hydroélectricité, la régulation des eaux du fleuve : grâce à l'accumulation en saison des pluies des excédents d'eau dans les immenses réservoirs des ouvrages, les inondations devaient être maîtrisées ; l'ouverture des vannes, essentiellement en saison sèche, devait permettre une deuxième récolte de riz. Les réalisations du Comité du Mékong - 1957/1977 - et du Comité intérimaire à trois (le Cambodge exclu) - 1978/1995 - se sont en réalité limitées à la construction de petits barrages sur quelques affluents ; pour ce qui est du cours principal, les études se sont succédé, absorbant une part essentielle de l'assistance technique et financière de la Communauté Internationale, mais aucun début de construction de grand barrage n'a jusqu'à présent été entrepris.


La charte du Mékong de 1975

L'une de ces études eut pour objet ce qu'il est convenu d'appeler "La Charte du Mékong" et qui porte le titre officiel de "Déclaration Conjointe concernant les principes d'utilisation des eaux du bassin du Mékong". La durée des travaux préparatoires à l'établissement du texte - plus de dix ans, 1965/1975 -, tout autant que le caractère décevant et ambigu de ces principes, sont révélateurs des difficultés rencontrées par le Comité, pour amener les quatre à un consensus. Il s'agissait en effet, de concilier des intérêts rivaux, d'assurer la coopération de pays que tout oppose : la mémoire de conflits séculaires, des différences de niveau de vie, de civilisations, de religions et bientôt - 1975 - de régimes politiques.
Les études en vue de la Déclaration Conjointe sont d'abord confiées, pendant 3 ans - 1965/1967 - à un éminent juriste italien, spécialiste des fleuves internationaux, assisté de juristes de l'O.N.U., qui tentent d'harmoniser les droits des eaux de chacun des pays riverains ; puis cinq groupes d'études vont élaborer leur avant-projet - 1967/1971 - qui est soumis aux juristes de chaque pays ; le Comité ne peut, en 1972, qu'établir la liste des divergences ; un groupe d'experts juridiques des quatre reprend le texte en 1974 ; le nouveau projet est enfin adopté par le Comité et les pays partenaires le 31 janvier 1975. La Déclaration Conjointe élaborée et adoptée dans ces conditions ne peut être qu'un agglomérat de compromis, qui ne constitue pas un véritable règlement de partage des eaux du Mékong. Il suffira d'évoquer les principales résolutions du texte pour se rendre compte qu'il ne mérite pas l'appellation de "Charte du Mékong" :
- Les articles 10 et 20 stipulent "qu'aucun des quatre riverains ne peut unilatéralement s'approprier une tranche importante des eaux du cours principal" ou "décider d'un détournement des eaux à l'extérieur du bassin (1) sans l'accord préalable des autres États". Ces grands principes n'apportent aucune précision sur ce qui pourrait être considéré comme le droit d'un pays sur les eaux du fleuve.
- C'est un article 11 qui est censé apporter des éclaircissements sur ce point capital : "La juridiction souveraine de tout Etat riverain sur les eaux du cours principal est sujette au droit égal des autres États d'utiliser ces eaux. Cette égalité de droit ne signifie pas un partage égal de ces eaux entre États riverains, mais le droit égal de chacun d'eux d'utiliser ces eaux sur la base de ses besoins économiques et sociaux, conformément aux droits des autres États riverains".
- L'imprécision de cette notion de "droit aux eaux du fleuve" n'a d'égale que celle de l'article 5 relative au partage des avantages attendus de la construction d'un barrage : "Chacun des États du bassin a droit sur son territoire à une part raisonnable et équitable des avantages qui découlent de la dite mise en valeur".
On peut remarquer que ces termes de "raisonnable et équitable" apparaissent à treize reprises dans le texte de la Déclaration Conjointe et caractérisent bien l'insuffisance des règles de partage des eaux.
En réalité cette insuffisance n'eut pas de conséquence directe puisque, en l'absence de grand barrages, le texte qui était censé régler les droits et les obligations des riverains n'eut pas à subir l'épreuve de la moindre application

L'accord de coopération de 1995

Mais la nécessité d'établir enfin un règlement précis et contraignant prit corps au début des années 1990, au moment où la demande de réadmission du Cambodge au sein du Comité laissait prévoir une restructuration des organismes et des conditions de coopération entre les riverains. Cette nécessité s'imposait d'autant plus qu'un grave différend était apparu entre Thaïlande et Vietnam et s'exacerbait au point de mettre en péril l'existence même de toute structure commune. En effet les dirigeants de Bangkok, soucieux d'accroître la production et l'exportation de riz, projetaient de pratiquer des prélèvements massifs sur le cours principal. Le Vietnam ne pouvait accepter ces plans thaïlandais, susceptibles d'interdire toute riziculture de saison sèche dans le delta et d'y accentuer la salinisation (2) destructrice des sols.
C'est la pression de l'O.N.U. et des pays donateurs qui imposera aux quatre l'accord de Chiang Rai, le 5 avril 1995 ; une Commission du Mékong se substitue au Comité, l'O.N.U. prend du recul, laissant en matière de coopération une totale autonomie aux quatre dans la nouvelle structure. Le texte créateur définit dans un article V de nouvelles règles de partage des eaux, qui annulent et remplacent celles de la Déclaration Conjointe.
Trois dispositions essentielles illustrent l'intention des quatre de mettre au point un ensemble plus concret et plus réaliste
- D'une manière générale "les parties coopèrent en vue de maintenir les débits du cours principal en cas de dérivation (risque de réduction du débit), de déstockage (risque d'augmentation du débit) ou autres mesures de caractère permanent, et cela sauf situation de sécheresse et/ou d'inondation de gravité record ".
- Pour ce qui est des affluents du Mékong, "les utilisations des eaux à l'intérieur du bassin et les dérivations entre bassins sont soumises à notification à la Commission". Les prélèvements d'eau peuvent donc être librement pratiqués.
- Les règles sont évidemment beaucoup plus strictes en ce qui concerne le cours principal, pour lesquelles on distingue saison des pluies et saison sèche
En saison des pluies, "l'utilisation à l'intérieur du bassin est soumise à notification à la Commission". Elle est donc libre, mais "la dérivation entre bassins est soumise à l'accord préalable de la Commission".
En saison sèche, tout prélèvement est soumis à l'accord préalable de la Commission, qu'il s'agisse d'une utilisation à l'intérieur ou d'une dérivation entre bassins.
En résumé, les projets de Bangkok de transférer de l'eau du cours principal du Mékong dans le bassin de la Chao Phrayà ne pourront être mis à exécution sans l'accord de la Commission et donc du Vietnam, aussi bien en saison sèche qu'en saison des pluies. Les nouvelles règles sont donc plus précises et moins ambiguës que celles de 1975. Elles ne sont cependant pas suffisantes pour régler les problèmes susceptibles d'apparaître entre Thaïlande et Vietnam, et qui ne pourront être éventuellement résolus qu'au cas par cas.
Ainsi par deux fois en vingt ans, les pays riverains du Mékong inférieur ont été amenés à établir des règles de partage des eaux du cours principal du fleuve, dans la perspective de la construction de grands barrages.
Une question se pose aujourd'hui. Quelle probabilité peut-il y avoir de voir s'appliquer le règlement de 1995, après l'inexistence pratique de celui de 1975 ? Pour les observateurs les plus avertis les nouvelles règles n'auront sans doute pas plus d'avenir que n'en ont eu les anciennes. Leur pessimisme se fonde d'abord sur l'influence grandissante des milieux écologistes, opposés par principe à ce qu'ils considèrent comme une atteinte à l'environnement, mais il s'explique aussi et peut-être davantage par l'irruption dans l'économie du bassin, depuis le début des années 1990, de puissants investisseurs privés, qui traitent non plus avec la Commission, mais unilatéralement avec tel ou tel Etat riverain. C'est "l'économie sociale de marché" qui permet à ces établissements bancaires de suppléer à l'insuffisance des dons et des prêts consentis auparavant par les gouvernements de la communauté internationale. La situation ainsi créée est lourde de dangers pour les pays du Mékong inférieur : l'esprit de coopération, "l'esprit du Mékong" (3) des années 1960/1970 est menacé par la politique du "chacun pour soi". La perspective s'éloigne de voir construire les grands barrages du cours principal, dont les quatre ont voulu réglementer l'utilisation.
En définitive, si la commission échoue, l'aménagement du Mékong restera un rêve inachevé. Ce sera la fin d'une grande ambition.

(1) Par exemple du bassin du Mékong dans celui de la Menam Chao Phraya, la rivière de Bangkok.
(2) L'eau de mer, poussée par la marée dans les fleuves côtiers, imprègne les sols particulièrement en saison sèche, le faible débit des cours d'eau étant insuffisant pour s'opposer à la remontée vers l'amont.
(3) Terme employé couramment par le Secrétariat du Comité du Mékong, dans les années 1960/1970.

Commissaire Général Luc LACROZE


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