L'A.N.A.I. L'INDOCHINE LE TEMPS DES MISSIONS ET DE LA CONQUETE LE TEMPS DE LA PAIX L'OEUVRE DE LA FRANCE LE TEMPS DE LA GUERRE LIEUX DE MEMOIRE CONTACT
ANAI
LE TEMPS DE LA GUERRE
ANAI version imprimable
Recherche
ANAI
ANAI
Accueil du site
ANAI La seconde guerre mondiale
ANAI La guerre d'Indochine
 

>La guerre d'Indochine>Le général de Lattre en Indochine

 

Le général de LATTRE en Indochine
1951 une année de victoires

Ndlr : les photographies qui illustrent cet article sont issues de la collection de la Fondation Maréchal de Lattre

Fin 1950, la guerre d'Indochine dure depuis plus de quatre ans et le Corps Expéditionnaire Français d'Extrême-Orient (CEFEO) subit une défaite extrêmement meurtrière au nord Tonkin. C'est la tragédie de la RC4 et la retraite de Cao Bang vers Dong Khe et Lanson qui s'est transformée, en quelques jours, en un effroyable bain de sang pour plus de 5000 soldats et des milliers de civils vietnamiens qui fuient avec l'armée française, devant les forces du Vietminh dont le commandement français a largement sous-estimé l'importance. Avec cette tragédie de la RC4, la France semble brutalement découvrir la guerre qui se déroule à 13 000 km de chez elle.

Comment en est-on arrivé là ?

En septembre 1945, après la capitulation japonaise, Ho Chi Minh, chef du mouvement vietminh, proclame unilatéralement la République Démocratique du Vietnam.
Fin 1945, les troupes du Corps Expéditionnaire, conduites par le général Leclerc, reprennent pied en Indochine. Au cours de l'année 1946 Thierry d'Argenlieu, chargé de restaurer la souveraineté française, se heurte à la détermination du chef du Vietminh qui s'est imposé assez vite, par la violence et l'emprise sur les populations, comme seul interlocuteur nationaliste. Les discussions politiques échouent, en partie à cause des divisions et des flottements dans le camp français. Le Vietminh décide de passer à l'attaque. Le 19 décembre 1946, Ho Chi Minh déclenche une insurrection générale qui marque le début d'une guerre de huit ans avec la France. Sur le plan militaire, ce fut tout d'abord, pour le Vietminh, une guérilla faite de harcèlements et de coups de main sur tout le territoire. L'enjeu étant pour lui le contrôle des populations et la démoralisation de l'adversaire autant que la conquête du terrain.

En 1949, la France essaye de construire une alternative politique pour le Vietnam, en reconnaissant l'indépendance et le pouvoir de l'empereur Bao Daï, mais le Vietminh contrôle déjà une partie importante du territoire et son influence sur les populations est croissante.
De plus fin 1949, le combat change de nature, après la prise de pouvoir de Mao Zedong en Chine et grâce à son soutien, l'armée vietminh est désormais équipée d'armement moderne et ses soldats sont très entrainés. Les provinces chinoises proches de la frontière sont pour elle des bases arrière totalement protégées. En septembre 1950, le Nord Tonkin devient indéfendable et le commandement français décide, trop tard, une évacuation de Cao Bang vers le Delta. Les Vietminh encerclent déjà toute la zone et, en quelques jours, plusieurs bataillons français de troupes d'élite sont anéantis.
La situation militaire devient extrêmement dangereuse. Le Tonkin est menacé et la peur s'installe à Hanoï. En France comme en Indochine c'est un coup de tonnerre. Les erreurs d'appréciation et de commandement qui ont conduit à cette catastrophe sont incontestables. Un changement d'homme s'impose.

Pour redresser la situation, quel sera l'homme providentiel choisi ? Plusieurs généraux prestigieux sont pressentis. Les généraux Juin et Koenig refusent. Le général Jean de Lattre de Tassigny, commandant en chef prestigieux de la Première Armée en 1944-1945, accepte le défi. Il est nommé Haut commissaire et Commandant en chef. Le nouveau proconsul n'a pas servi en Indochine, mais il a suivi de près l'évolution de la situation grâce aux nombreux officiers du Corps Expéditionnaire qui ont été ses camarades de combat et avec lesquels il est en contact. De plus son fils Bernard, qui s'est engagé, est lieutenant dans un poste au Tonkin depuis 17 mois.
L'annonce de son arrivée suscite un immense espoir auprès des soldats mais aussi de la population européenne et des Indochinois non acquis au Vietminh. Sa personnalité exceptionnelle et ses qualités militaires laissent présager un souffle nouveau et un sursaut dans cette Indochine où la France s'enlise. Le 17 décembre 1950, il débarque à l'aéroport de Saïgon, avec une grande solennité et le sens de la mise en scène qui lui est propre. Il est accompagné du ministre des Etats associés, Jean Letourneau, qui lui a promis son soutien. Pour relever ce défi du redressement, il arrive avec ses « Maréchaux », fidèles compagnons de la 1ère Armée, mais il a choisi également quelques hauts fonctionnaires et officiers qui connaissent bien l'Indochine, tels l'administrateur Jean Aurillac et le général Raoul Salan dont il fait son adjoint.


Arrivée à Saïgon le 17 décembre 1950. A ses côtés Jean Letourneau

Il ne masque pas sa froideur à l'égard de la plupart des responsables civils et militaires venus l'accueillir et fait bien comprendre son désir de voir changer les comportements. A Hanoï, qu'il rejoint aussitôt, il passe les troupes en revue et déclare aux officiers : « L'ère des flottements est révolue. Je suis venu pour vous, les lieutenants et les capitaines. Désormais vous serez commandés. Quoi qu'il arrive, je serai avec vous. Nous ne cèderons plus un pouce de terrain. Je vous apporte la guerre, mais aussi la fierté de cette guerre ». De Lattre est un chef qui a le don de galvaniser les énergies. Dès les premiers jours c'est un véritable électrochoc, et la confiance revient.
De Lattre veut des changements rapides, sur le plan militaire et politique. Mais l'urgence, c'est la menace qui plane sur Hanoï. Les troupes d'Ho Chi Minh sont très proches. Où vont-elles frapper ? L'ennemi brouille les cartes et les informations des services de renseignements sont cruciales dans ce jeu de cache-cache et d'intoxication. Après des manoeuvres de diversion, en janvier, de nombreux bataillons vietminh attaquent Vinh Yen, au Nord-ouest d'Hanoï. Au bout d'une semaine de combats très durs, les régiments durement frappés du général Giap se retirent dans la jungle et les montagnes. Plusieurs divisions vont devoir se reconstituer en Chine. Le premier duel de Lattre - Ho Chi Minh a provisoirement sauvé Hanoï et une partie du delta tonkinois. C'est une grande victoire pour de Lattre.

Cependant, la nature du conflit a évolué et de Lattre va développer de nouvelles approches : constitution de nombreux groupes mobiles, création de forces spéciales, construction d'une ligne de fortifications dans le delta tonkinois, développement des forces maritimes et aériennes, mise en place d'antennes chirurgicales proches des théâtres d'opérations, actions sociales en direction des populations.


Fortifications dans la région de Haïphong

L'efficacité des Groupes mobiles - qui réunissent environ 2000 hommes sous un même chef opérationnel, souvent l'un des fidèles « maréchaux » - réside principalement dans leur flexibilité et leur rapidité d'intervention. Le GM n'a pas de secteur réservé et son armement, comme les unités mobilisées, varie en fonction des opérations. En outre, une étroite coordination est mise en place entre les troupes terrestres et les forces aériennes et navales, dont l'intervention sera souvent déterminante pour arracher la victoire. Pour protéger le delta du Fleuve Rouge de Lattre va faire construire un réseau de fortifications, qui seront autant de sonnettes d'alarme et de bases permettant de disposer de points de défense sécurisés et facilitant les actions d'infiltration dans les zones contrôlées par le Vietminh.
Mais de Lattre ne veut pas se limiter à la guerre traditionnelle. Il va également développer, sur presque tout le territoire, des maquis avec les minorités ethniques hostiles au Vietminh, et des commandos qui accueilleront de nombreux partisans indochinois, dont beaucoup d'anciens prisonniers vietminh retournés. Ces formations se révèleront extrêmement efficaces.


Le général décore son fils Bernard à Phu-Ly

La Cochinchine et le sud Annam sont partiellement pacifiés, mais devant la montée en puissance de l'armée de Giap, les forces de l'Union française sont insuffisantes, surtout au Tonkin : début 1951, les effectifs du Corps Expéditionnaire s'élèvent à environ 140 000 hommes, venant d'horizons divers (30 % de métropolitains, 10 % de légionnaires, 27 % originaires d'AFN ou d'Afrique noire, 33 % d'Indochinois). Après les premières victoires franco-vietnamiennes (Vinh Yen en janvier, Mao Khé / Dong Trieu en mars-avril, puis la bataille du Day en mai-juin), de Lattre va insister pour que les Vietnamiens s'impliquent davantage dans la défense de leur pays.

Le « Jaunissement » du Corps Expéditionnaire et le développement de l'Armée Nationale vietnamienne de Bao Daï vont être prioritaires pour de Lattre. Le pourcentage de soldats indochinois dans les unités des forces françaises va croître et l'Armée nationale vietnamienne verra ses effectifs doublés en 1951, pour atteindre 130 000 hommes. Les écoles militaires de cadres ou de spécialisation se multiplient dans tout le pays. Le recrutement a été difficile, il a fallu convaincre les autorités vietnamiennes. De Lattre s'y est attaché inlassablement.


1er bataillon Muong

En avril à Vinh Yen, le président du conseil vietnamien Tran Van Huu désigne le communisme vietminh comme l'adversaire du Vietnam. De son côté, après le défilé du 14 juillet à Hanoï, l'empereur Bao Daï s'engage enfin et décrète la mobilisation générale.
Le général veut aussi obtenir l'engagement de toute la jeunesse. Il est bouleversé par les souffrances des jeunes officiers français venus en Indochine, dont beaucoup tombent au combat comme son fils Bernard à Ninh Binh, en mai lors de la bataille du Day, alors qu'assez peu de Vietnamiens éduqués, issus des familles aisées, s'engagent pour défendre leur pays. En juillet à Saïgon, au lycée Chasseloup-Laubat, il leur lance un appel pressant : « Il faut choisir. C'est la guerre. Soyez des hommes ! Soyez des hommes, c'est-à-dire : si vous êtes communistes, rejoignez le Vietminh ; il y a là-bas des individus qui se battent bien pour une cause mauvaise. Mais si vous êtes des patriotes, combattez pour votre patrie, car cette guerre est la vôtre ».


Lycée Chasseloup-Laubat 11 juillet 1951

Mais les défis politiques sont aussi hors d'Indochine et de Lattre va déployer une énergie surhumaine pour convaincre.
Il faut persuader la France que l'effort de guerre doit être à la hauteur des enjeux et que les moyens en hommes et en matériel doivent être rapidement accrus. Les gouvernements changent plusieurs fois par an et les positions sur cette guerre lointaine sont floues ou fluctuantes, tandis que l'opinion publique est régulièrement alimentée par une propagande fustigeant « la sale guerre ».
Il faut, d'autre part, faire comprendre aux Alliés que la guerre froide n'est pas seulement en Europe de l'Est et en Corée et que l'Indochine est désormais une cible privilégiée pour le bloc communiste. Il faut les convaincre que l'action militaire de la France au Vietnam, au Laos et au Cambodge doit être soutenue. En septembre, il se rend aux Etats-Unis où il multiplie les contacts avec les responsables politiques et militaires comme avec les journalistes. Sans cesse, il rappelle les objectifs français en Indochine et les enjeux de la lutte contre l'extension du communisme en Extrême-Orient. Ce voyage sera un grand succès et, fin 1951, la contribution des Etats-Unis à l'effort de guerre en Indochine représentera plus de 30 %.


Rencontre avec le Président Truman

Sur le plan militaire, les victoires des derniers mois sont éclatantes. En octobre à Nghia Lo, le général Salan, par une tactique audacieuse, écarte la menace du Vietminh sur le pays Thaï et Giap doit reculer devant les bataillons parachutistes. En novembre, c'est une offensive française en pays Muong par la RC6 et par la Rivière Noire qui bouscule les bataillons vietminh et permet la prise d'Hoa Binh, capitale de cette ethnie hostile au Vietminh. C'est une victoire hautement symbolique.
Cependant le général Giap reconstituera assez vite ses forces dans les zones du Tonkin qu'il contrôle totalement et dans ses bases arrière de Chine. Dès janvier 1952 la contre attaque des Viets sera très meurtrière et forcera le général Salan à effectuer un repli tactique des 20 000 hommes des forces franco-vietnamiennes stationnées dans la région d'Hoa Binh pour éviter le renouvellement d'une tragédie semblable à celle de la RC4 en 1950.


Blindés dans la bataille d'Hoa Binh

Mais le général est très gravement malade, son cancer progresse et le décès de son fils unique l'a profondément affecté. A bout de forces, il doit quitter l'Indochine fin novembre.

Jusqu'au bout il se préoccupera de ses soldats. Pour Noël, chacun où qu'il se trouve reçoit un cadeau, et il leur adresse un message chaleureux : « C'est à vous d'abord, mes soldats, à vous que j'envoie mes souhaits pleins d'affection, et l'expression de ma gratitude, de mon admiration et de ma confiance. Par votre héroïsme quotidien, vous avez fait de 1951 la grande année du Redressement. L'Union française qui, enfin, avoue la fierté qu'elle doit à vos vertus, le monde qui, enfin, perçoit la sécurité qu'il doit à vos sacrifices, achèveront de reconnaître en vous l'armée magnifique d'une cause magnifique : celle de la Liberté».
Le 11 janvier 1952, le général de Lattre décède à Paris. Des funérailles nationales sont organisées. Le 15 janvier, son corps est transporté sur le char « Alsace » depuis les Invalides jusqu'à l'Arc de triomphe. Le même jour, il est élevé à la dignité de Maréchal de France à titre posthume.

Jean de Lattre de Tassigny est resté moins d'un an en Indochine, mais sa marque a été profonde. Il a illustré avec panache sa célèbre devise « Ne pas subir », restaurant d'emblée la confiance. Sur le plan militaire, le pire a été évité, l'invasion de l'ensemble du Tonkin par le Vietminh et derrière lui, par la Chine communiste. Giap a été contraint de reculer, avec des pertes extrêmement importantes, dans toutes les grandes batailles qu'il a lancées au Tonkin cette année-là.
Fin 1951 la bataille d'Hoa Binh a montré que même au Tonkin, l'armée franco-vietnamienne pouvait menacer l'armée d'Ho Chi Minh. Mais l'issue de cette dernière opération et les difficultés pour pacifier le delta tonkinois ont également montré que les forces vietminh, prêtes au sacrifice permanent, infiltrées dans tout le territoire et de plus en plus aidées par la Chine, ne baissaient pas la garde et se reconstituaient très vite, rendant une victoire militaire décisive de l'armée franco-vietnamienne plus qu'improbable.
Le général a inlassablement répété qu'en Indochine, la France ne cherchait pas à restaurer sa souveraineté et que ses soldats combattaient pour aider les trois Etats associés, le Vietnam, le Laos et le Cambodge à construire et à protéger leur indépendance récente. Il a réussi à faire comprendre à nos alliés Américains que cette guerre était une guerre du monde libre. Il a su peu à peu gagner la confiance de nombreux Vietnamiens hostiles au Vietminh.
Si la mort n'avait pas interrompu son action, le redressement aurait-il été durable ? Certes sa vision politique et militaire, son ascendant sur les hommes ont permis un sursaut remarquable. Mais des problèmes presque insurmontables demeuraient : d'un côté l'aide accrue de la Chine à un Vietminh fanatisé et, de l'autre côté, une instabilité gouvernementale chronique en France empêchant tout choix politique durable, les faiblesses du pouvoir impérial de Bao Daï et des populations indochinoises écartelées

Mais quelle qu'ait été l'issue de cette guerre, de Lattre a montré, dans un contexte particulièrement difficile, une stature exceptionnelle d'homme d'Etat et de grand chef militaire. Il a redonné tout son sens au sacrifice des milliers de soldats du Corps Expéditionnaire français qui ont combattu et sont morts pour défendre la liberté de ces pays, et au nom de l'indéniable amitié franco-indochinoise après des décennies de présence française.


Gilles BONNIER

Auteur de l'ouvrage "Le général de Lattre en Indochine, 1951 une année de victoires" (publié par la Fondation Maréchal de Lattre, 2011)



> Haut de page :
- Le général de Lattre en Indochine

> Autre rubrique :
- L'exposition de l'O.N.A.C.
- Le Viêt Minh, notre adversaire
- Le général Leclerc en Indochine
- En forêt vierge
- Marins en kaki
- Appel à la jeunesse vietnamienne, 11 juillet 1951
- Discours du général de Lattre le 21 octobre 1951
- Les combattants indochinois du Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient
- L'armée nationale vietnamienne (1949-1956)
- Couverture aérienne de Diên Biên Phu
- Dien-Bien-Phu raconté par le général Giap
- Dien-Bien-Phu (poème)
- Les camps de prisonniers du Viêt Minh (1945-1954)
- Ho Chi Minh et les accords de Genève vus par Khrouchtchev
- Les Forces Françaises en Extrême-Orient

> Retour :
- La guerre d'Indochine


Plan du site - Crédits - Contact - Liens - ANAI © 2007
Association Nationale des Anciens et Amis de l'Indochine et du Souvenir Indochinois
ANAI, anciens indochine, vietnam, laos, cambodge, tonkin, annam, cochinchine, chine, asie du sud-est, indochine francaise, guerre indochine, memoire indochine, souvenir indochine, anciens combattants, conquète, colonisation, décolonisation, viet-minh, missions catholiques