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>La guerre d'Indochine>Appel à la jeunesse vietnamienne, 11 juillet 1951

 

Discours prononcé par le Général de Lattre à la Distribution des prix du Lycée Chasseloup-Laubat
Saigon, 11 juillet 1951

Monsieur le Président,
En acceptant d'assister à cette cérémonie, vous ne témoignez pas seulement d'une fidélité personnelle envers votre ancien Lycée, mais de l'intérêt que le Vietnam tout entier apporte aux choses de l'esprit et singulièrement à la culture française qui fut et demeurera pour lui le moyen privilégié d'accéder à la culture moderne.
Je sais la gratitude profonde que porte l'élite du Vietnam à l'oeuvre désintéressée de nos professeurs, de nos médecins, de nos chercheurs. Pour une âme confucéenne, comme pour une âme grecque, les rapports de maître à disciple constituent l'une des « Relations fondamentales » qui peuvent unir les êtres et la forme la plus haute, sans doute, de l'amitié.
Votre présence, Monsieur le Président, est la reconnaissance de ce fait ; elle est aussi l'expression de l'amitié de votre pays. Soyez-en loué et remercié.

Monsieur le Professeur,
Vous me permettrez de ne pas vous répondre, me bornant à vous féliciter, et puisque aussi bien vos paroles s'adressaient à vos élèves, c'est à eux également que je veux adresser mon discours.

Mes jeunes amis,
Le discours modestement dit « d'usage » que vous venez d'entendre, constitue le dernier sacrifice exigé d'un de vos professeurs. Après vous avoir fait travailler pendant toute une année, l'on vient doctement vous apprendre à ne rien faire pendant trois mois.
L'usage, en fait, s'est transformé. De mon temps les éducateurs se croyaient tenus à des conseils aussi vertueux et aussi vains que ceux de Polonius au départ de Laërte. Aujourd'hui - plus sagement, plus simplement - l'on vous convie à ce que vous chercher déjà de vous-même : la joie sous toutes ses formes. Recommandation superflue à votre égard, présomptueuse même de la part d'adultes que la vie a plus ou moins meurtris et qui tendent désormais vers la joie plus qu'ils ne la sentent en eux-mêmes. Un jour viendra peut-être où ce sera un élève qui aura la charge, au seuil des vacances, de discourir sur la joie de vivre, et de remettre aux professeurs la clé des champs. Et ce sera justice.
Car, nous les grandes personnes, nous avons perdu la saveur et parfois jusqu'au sens même des vacances. Nous ne savons « vaquer » qu'à nos occupations habituelles (II arrive même que certains d'entre nous - on prétend que c'est mon cas - ne savent plus se reposer et empêchent les autres de dormir).
Mes enfants, il faut nous excuser car nous n'avons personne pour disposer notre vie aussi heureusement que nous avons pu régler la vôtre. Pourquoi ? Parce que la vie humaine est brève, l'âge adulte ne couvre, entre l'enfance et la vieillesse, que l'espace d'une génération ; et ce que vos parents font pour vous, les parents de vos parents ne peuvent déjà plus le faire pour eux.

Vous êtes des privilégiés sur le plan social.
Vous êtes ainsi, mes chers amis, les grands bénéficiaires de cet ordre humain qui est la civilisation même et qui permet aux petits des hommes, au lieu d'avoir à gagner immédiatement leur vie, d'apprendre pendant des années et d'interrompre régulièrement pendant des mois cet apprentissage lui-même.
Vos vacances sont le produit net, le solde positif, le bénéfice sûr de ce que certains économistes ont appelé la plus-value. C'est parce que dans la société actuelle, votre famille ou l'Etat ont pu accumuler des réserves, que vous pouvez pendant longtemps dépenser sans rien produire. Vous êtes des privilégiés sur le plan social et, puisque le privilège confère toujours un devoir, n'oubliez, pas - en ce jour faste où vous allez entrer dans le loisir pur - de méditer à cet égard la parole d'un grand écrivain catholique que vous ne connaissez peut-être pas : Léon Bloy : « Tous les sophismes du monde ne changeront rien à ce mystère que la joie du riche a pour substance la douleur du pauvre ».

Le Vietnam est en guerre.
Vous êtes des privilégiés en un autre sens, d'une manière plus particulière, pour une raison simple que l'on n'ose pas toujours dire car on a plus peur des mots que des choses : c'est que le Vietnam est en guerre. Vos études et vos vacances ne sont possibles que parce qu'il y a beaucoup de jeunes hommes français et vietnamiens qui ont renoncé à l'étude comme au repos pour combattre et pour mourir : beaucoup de jeunes Français dont la vocation n'était pas de tomber sur le sol de votre pays ; beaucoup de jeunes paysans de chez vous qui ne semblaient pas destinés à donner l'exemple des plus pures vertus guerrières. C'est leur sang à tous, qui irrigue cette oasis de paix et de liberté où vous vivez à l'aise, en plein milieu d'un monde desséché par la violence et déchiré par la fatalité.

Un cap à franchir.
C'est là une constatation, non un reproche. Il est normal que vous mettiez du temps à vous instruire, car « il est long - Goethe l'a dit - d'apprendre à faire la moindre chose de la façon la plus grande ». Vous avez le droit et le devoir de préparer votre avenir lointain dans le cadre de ce que sera demain votre pays. A une condition toutefois, c'est que ce pays soit capable de franchir le cap de l'avenir immédiat. Car il y a certains grands moments dans l'histoire des peuples où la jeunesse - qui incarne le futur - doit aussi prendre en mains le présent. Quand un pays est assis à l'ombre de la mort, il faut que sa jeunesse - comme cette fleur merveilleuse qui éclôt la nuit du Têt - il faut que sa jeunesse sache aussitôt fleurir et porter son fruit avant que renaisse la lumière.

Le patrimoine sacré.
N'est-ce pas le cas ici maintenant ? De la vieille terre du Viêtnam, fécondée par tant de guerres d'indépendance, il me semble que monte aujourd'hui, dans l'ombre menaçante de la barbarie, un appel aux forces vives de la jeunesse. Hung-Dao, Prince de la "vertu restaurée", Nguyên-Trai, tous les héros libérateurs que ce pays suscita l'un après l'autre pour son salut, c'est à la jeunesse du Vietnam toute entière qu'ils confient le patrimoine sauvé jadis par leur valeur.
Et moi qui ai connu et aimé la jeunesse de beaucoup de nations, je dis que la jeunesse de ce pays est à la mesure de cette confiance et des exigences de l'histoire. Jeunesse laborieuse et ardente, habile et orgueilleuse, ambitieuse et enthousiaste, jeunesse affinée par les siècles et passionnée de nouveauté, jeunesse sensible prête à être emportée par une grande cause, en vérité la génération qui atteint aujourd'hui l'âge d'homme au Vietnam a en elle toutes les qualités exceptionnelles que réclame immédiatement l'exceptionnelle conjoncture d'aujourd'hui.

II faut choisir.
Pour que cette jeunesse aille au but, il suffit qu'elle parte dans le bon sens, qu'elle évite les chicanes qui retiennent quelques-uns de ses aînés, qu'elle ne tombe pas dans les ornières où ils se sont affalés comme un poids mort. Car il y a, mes amis, vous le savez "dans ce qu'on est convenu d'appeler l'élite" quelques éléments impuissants et stériles qui ont perdu la foi dans votre pays. La défaillance de quelques-uns ne fait qu'accroître l'importance de votre rôle. Leur erreur est trop grossière pour que vous la partagiez.

De l'indépendance formelle à l'indépendance réelle.
A la base de leur attitude, il y a d'abord une conception mythique de l'Indépendance. Une partie de l'élite du Vietnam se représentait cette Indépendance comme une vaste distribution des prix : plus ou moins réussie certes (on eut aimé que les livres de prix fussent beaux) mais débouchant, en tout cas, sur de grandes et merveilleuses vacances. On découvre maintenant avec peine qu'il y a des devoirs de vacances en quantité, et au bout du compte un difficile examen de passage : la guerre.
Voulez-vous une autre image ? L'Indépendance reconnue par des textes - si solennels soient-ils - n'est qu'une maison de papier ; quand vient l'orage, il faut étayer cette maison, la recouvrir, la monter sur pilotis ; or en temps de guerre, les pilotis, ce sont des soldats.

Condamnation de l'attentisme.
Ces malheureux auraient voulu avoir l'Indépendance sans la guerre. Cette guerre est pour eux une réalité gênante qu'ils s'efforcent d'oublier le plus possible, un terme néfaste qu'ils s'abstiennent même de prononcer, comme si en évitant le nom, on pouvait écarter la chose. Une jeunesse, comme la vôtre, éprise de liberté regrette sans doute elle-même quelquefois de n'arriver à l'âge d'homme que pour se trouver « embarquée » dans une grande aventure qu'elle n'a pas choisie, au lieu de pouvoir fabriquer et goûter à loisir les mille petits problèmes personnels et inoffensifs dans lesquels peut se complaire, en temps de paix, l'adolescence.
Avec de tels sentiments - et quelques intérêts bien compris - l'on devient un attentiste ; on profite abondamment - en parasite - de l'ordre maintenu par le Gouvernement légitime et l'Armée de l'Union Française, et l'on fait pénitence pour tout ce confort matériel et intellectuel que l'on ne voudrait pas perdre, en manifestant une réprobation de bon aloi envers les autorités protectrices et une vertueuse sympathie en faveur des rebelles.

La véritable « Résistance ».
Par un mirage étrange, on prétend voir en eux la Résistance, comme si le parti de l'étranger et de l'oppression avait le droit d'usurper ce titre réservé aux forces véritablement nationales qui incarnent la volonté de vivre d'un peuple libre.

Soyez des hommes.
Au nom des soldats de la France, au nom de l'avenir du Viêt-nam, au nom de l'idéal dont la jeunesse est dépositaire, au nom de la jeunesse même de ce pays qui se bat, devant ces petits calculs et cette honorable lâcheté, je dis à de telles gens et vous leur direz avec moi : Non ! C'est la guerre ! Soyez des hommes !

Soyez des hommes, c'est-à-dire : si vous êtes communistes, rejoignez le Viêtminh ; il y a là-bas des individus qui se battent bien pour une cause mauvaise. Mais si vous êtes des patriotes, combattez pour votre patrie, car cette guerre est la vôtre. Elle ne concerne plus la France que dans la limite de ses promesses envers le Vietnam et de la part qu'elle doit prendre à la défense de l'univers libre. D'entreprise aussi désintéressée il n'y en avait pas eu, pour la France, depuis les Croisades. Cette guerre, que vous l'ayez voulue ou non, est la guerre du Vietnam pour le Vietnam. Et la France ne la fera pour vous que si vous la faîtes avec elle.

Liberté ou servitude.
Aussi, jeunes Vietnamiens qui allez quitter le Lycée, ne vous perdez derrière aucun des prétextes que vous inspireront peut-être l'égoïsme familial et la propagande ennemie. Soyez à la hauteur de l'Indépendance de votre pays et des lourdes responsabilités qui en rejaillissent sur vous. Car l'Indépendance ne résout pas les problèmes ; elle les pose à nouveau; elle en pose de nouveaux et elle oblige à les résoudre. L'Indépendance, qu'est-ce sinon ce qui permet à une nation de choisir librement entre la liberté et la servitude, ce qui rend les citoyens responsables du destin de leur pays ?

Interdépendances fécondes et dépendances funestes.
Ne tombez pas cependant d'un extrême à l'autre : si l'Indépendance ne peut pas tout, ne croyez pas qu'elle ne soit rien. Certains prétendent que le Vietnam ne peut être indépendant parce qu'il fait partie de l'Union française. Mensonge ! Dans l'univers, et particulièrement dans le monde d'aujourd'hui, il ne peut y avoir de nations absolument indépendantes. Il y a seulement des interdépendances fécondes et des dépendances funestes. Sans l'appartenance à l'Union française, le Vietnam, malgré son fier passé, ne serait-il pas aujourd'hui un satellite de la Chine, et n'est-ce pas la preuve que la solidarité de l'Union française est une force de liberté ?

Faites l'Armée Nationale.
D'autres parmi vous déclarent que le Vietnam ne peut être indépendant à cause de la présence de l'Armée française. Et à cause de cela même, ils s'abstiennent de s'engager dans l'Armée vietnamienne. Ils vont ainsi à l'encontre du but cherché. Car l'Armée nationale est l'expression même de l'Indépendance du Vietnam ; et le Vietnam sera d'autant plus indépendant qu'il aura une armée plus nombreuses, et je ne cesse de le dire, une armée encadrée par des officiers vietnamiens, qui relèvera progressivement l'Armée française des tâches primordiales que celle-ci assume aujourd'hui. Or, le développement de cette Armée nationale est essentiellement conditionné par la multiplication des cadres nécessaires que, vous seuls, pouvez fournir. Quand il y aura des milliers d'officiers ayant l'âme et la trempe du lieutenant Dinh, hier bachelier du Lycée d'Hanoi, mort glorieusement à vingt-deux ans à la tête de sa compagnie au combat de Lê-Xa, alors le Vietnam sera totalement indépendant. Mais cette indépendance, elle ne relève pas de la France, elle relève de l'élite du Vietnam.

Au commencement était l'action.
D'autres jeunes intellectuels enfin, souffrant du défaut de tous les intellectuels du monde qui est la difficulté à s'engager, le refus de l'option, trouvent une troisième raison pour se dérober. Ils allèguent qu'il n'existe pas de ce côté-ci de la barricade la mystique nécessaire pour combattre un ennemi fanatique. Cela encore est un prétexte et un faux alibi. La jeunesse ne serait pas la jeunesse si elle avait besoin d'autre mystique que son propre enthousiasme, son espérance, son amour de la liberté. Chez le Vietminh lui-même, il n'y a pas plus, car le marxisme - c'est Lénine qui l'a dit - « n'est pas un dogme, mais un guide pour l'action ». Entrez vous-mêmes dans la voie de l'action, vous y trouverez vos guides. Allez de l'avant dans le sens du devoir national, et la mystique vous viendra avec les oeuvres.

Le Vietminh vous trompe.
Qu'y a-t-il au fond, derrière tous ces sophismes ? Il y a le Vietminh. Depuis plus de cinq ans, drapé dans un nationalisme éclatant comme un habile torero dans sa cape de lumière, le Vietminh joue un jeu féroce contre le vaillant peuple de ce pays : il l'a aveuglé dans le scintillement de ses feintes, il l'a étourdi par le tumulte de ses cris. Il l'a envoûté dans la magie de ses mensonges. Et c'est ainsi que ce peuple au sang pur "le peuple impulsif, ardent, généreux du Vietnam" au lieu de s'attaquer à son ennemi véritable, le meneur de jeu communiste acharné à son asservissement, à sa mort, a été pendant cinq ans manoeuvré, détourné, égaré vers des ennemis imaginaires.
Comment les patriotes peuvent-ils accepter d'être de vulgaires outils entre les mains d'un mouvement, dont le chef Staline a ouvertement admis que la « question nationale » n'est qu'une partie de la question générale de la révolution prolétarienne, une partie de la question de la dictature du prolétariat ?

Sa Majesté Bao-Dai et le Président Huu vous ont montré la voie.
Pour vous en particulier, jeunesse intellectuelle du Vietnam, l'oeuvre urgente consiste donc d'abord à faire l'effort d'examen et d'analyse nécessaire afin de juger la situation telle qu'elle est. Cette lucidité est la première, et elle est aussi la suprême forme du courage. Votre Gouvernement vous en a donné l'exemple à Vinh-Yên. Et l'homme qui a prononcé ce discours historique du 19 avril, grand tournant de la politique du Vietnam, il est parmi nous ce matin et tous vous sentez la fierté de compter le Président Huu parmi vos anciens. Vous le suivrez, comme il suit lui-même le Chef de l'Etat, et je ne saurais assez vous redire ce que j'affirmais le 2 juillet à Mytho : « C'est dans la fidélité à l'idée que représente S.M. Bao-Dai, que se trouve votre vérité ».
Il vous faut admettre que vous arrivez à l'âge d'homme à l'heure où l'existence même de votre pays est en jeu. Il vous faut comprendre que le Vietnam, parce qu'il est indépendant, est le maître de son destin, et que la Jeunesse du Vietnam, parce qu'elle est la jeunesse, en est responsable.

La voie ascendante.
Certes, on ne choisit pas totalement son destin, on ne se donne pas le choix qu'on aura à faire, mais on choisit entre deux partis donnés. Ainsi, vous, la jeune élite du Vietnam, vous n'êtes pas libres de refuser le dilemme qui se pose aujourd'hui à votre pays : lutter pour être libre, ou accepter l'esclavage ; mais vous êtes libres de choisir la voie ascendante, celle de l'honneur, du devoir et de l'effort, ou au contraire celle de l'inaction, de la fuite, de la démission.
Comment la jeunesse, quand elle sent monter en elle la vie, ne choisirait-elle pas pour vivre le chemin le plus haut ?

L'enjeu de la lutte.
La décision, mes jeunes amis, découle tout naturellement de la culture dont vous vous êtes imprégnés pendant des années.
La culture véritable n'est pas une évasion dans l'imaginaire; elle est l'enrichissement, l'affermissement de la personne, la mise à sa disposition d'une armature, d'un armement pour les luttes de l'existence. Elle n'est pas faite pour elle-même, elle est faite pour l'homme et pour la vie. Et rien n'est plus triste que le spectacle de l'étudiant vieilli sur ses livres, prisonnier volontaire dans les labyrinthes de la connaissance, qui évite sans cesse d'en trouver et d'en ouvrir la porte qui mène vers le monde.
La vraie culture, "celle que vous avez reçue", est celle qui donne des raisons de vivre : et les raisons de vivre sont autant de raisons de mourir pour sauver ce qui donne un sens à la vie. Vous qui avez reçu l'héritage de centaines de générations d'hommes, regardé l'homme se développer à travers son histoire dans une aspiration continuelle à la justice et à la liberté, ne sentez-vous pas maintenant en vous un grand idéal, le goût d'une certaine qualité humaine, l'exigence de la dignité de l'homme, la volonté d'un régime social qui lui permette son libre épanouissement. Vous savez que toutes ces valeurs dont le culte est commun à l'Orient et à l'Occident, sont l'enjeu de la lutte qui se livre aujourd'hui dans le monde. Comment ne voudriez-vous pas les défendre en même temps que votre pays ?

Devoir des élites.
Vous, la Jeunesse intellectuelle du Vietnam, qui seriez les premiers à souffrir des techniques d'avilissement du communisme, vous devez être les premiers à en protéger votre pays. Vous, les privilégiés de la culture, vous devez revendiquer aussi le privilège de la première place au combat. L'immense bonne volonté du peuple vietnamien vous attend, il réclame votre engagement et votre direction, vous n'avez pas le droit de le décevoir. Car rappelez-vous l'affirmation de Confucius : « Mécontenter le peuple, c'est offenser le Ciel.
Vous pouvez être le sel de cette terre : malheur à vous si le sel s'affaiblit ! Quand un pays est trahi par son élite, il meurt ou il invente une élite nouvelle. Si les enfants de la bourgeoisie ne voulaient pas servir le Vietnam, le Vietnam serait servi et sauvé aujourd'hui et dirigé demain par les fils du peuple. Tant pis alors pour les émigrés et de l'intérieur ou de l'extérieur, tant pis pour les réfugiés de France ou d'ailleurs, tant pis pour ceux qui s'abritent dans leurs richesses, dans leurs études ou dans l'attente. Tant pis pour ceux qui ne trouvent pour répondre à la grande crise de leur pays qu'un surcroît d'esprit critique. Un pays n'est pas fait par des réfugiés, des fugitifs ni des critiques mais par ceux qui répondent à son appel, dans le besoin. Je suis sûr que vous êtes de ceux-là.

Le Vietnam sera ce que vous l'aurez fait.
Les jeunes hommes du Vietnam ont aujourd'hui l'honneur et la chance, qu'une noble aventure soit offerte à leur généreuse ambition. Leur patrie, "la terre héritée de leurs pères, les eaux et les collines", il leur appartient de la recréer. Comme un miroir magique où l'on découvre son âme, le Vietnam de demain aura le visage de ce que sa jeunesse aura su aujourd'hui lui donner d'elle-même. Et je dis aux jeunes hommes du Vietnam, ne soyez pas de ces êtres qui ont de grandes ambitions et de petits projets. Osez former le grand dessein de sauver votre pays. Dites-vous ceci : qui sait tout souffrir, peut tout oser. Et gardez pour devise celle de ce palatin qui s'écriait à la Diète de Pologne : « J'aime mieux une liberté dangereuse que la paix dans la servitude ».

«Ici commence le pays de la liberté».
En cette heure solennelle du destin de l'Asie, le geste que l'histoire attend de vous dépasse le cadre de votre pays ; il doit répondre à l'espérance obscure de millions d'êtres prêts à subir le communisme comme une fatalité. De vous dépend que demain des hommes échappés à la terreur de l'Empire du Nord puissent s'écrier aux frontières du Vietnam, comme en 1789 les étrangers qui pénétraient en France : « Ici commence le pays de la Liberté ».
Dans les lycées et les universités du monde, toujours des garçons se sont levés contre l'oppression: les jeunes Allemands de l'Université de Berlin, en 1813 contre l'envahisseur français, les jeunes Français après 1940 à Paris, contre l'envahisseur allemand. Ils ont montré qu'Hamlet avait tort : « La science et la conscience ne font pas de nous des lâches ». Aujourd'hui, toute la jeunesse du monde est en marche pour le meilleur et pour le pire. Dans les pays soviétisés, elle est l'avant-garde des forces d'oppression de l'Etat contre l'individu. Dans les pays libres, elle doit remplir la plus haute des missions : défendre la liberté de l'homme. Et une fois engagée dans ce combat, elle a la récompense d'y découvrir encore de nouvelles raisons de se battre, dans ces valeurs précieuses qui devraient être l'âme de toute cité humaine et que le risque permet d'apprivoiser : la fraternité virile, l'égalité devant le danger et la grandeur, la communion des espérances.

Alors tu seras un homme.
Je sens certes trop intimement, moi-même, les souffrances et les sacrifices de la guerre pour en exalter les mérites. Vauvenargues disait : « II n'y a pas de gloire achevée sans celle des armes ». Mais quelle gloire peut compenser la perte de ce qu'un peuple ou une famille a de plus précieux : la vie de ses enfants ?
Non, la guerre n'est pas bonne en soi ! Elle est une malédiction de la race humaine. Sa valeur est seulement celle de la cause qu'elle sert et des êtres qui s'y réalisent ; elle est parfois l'épreuve nécessaire d'une Nation, elle est souvent l'occasion donnée aux meilleurs de se libérer de toute petitesse, de grandir, de devenir eux-mêmes, de se dépasser eux-mêmes.
Telle est bien la conjoncture d'aujourd'hui au Vietnam. Le destin de votre pays est. en jeu et avec lui l'existence même de l'élite que vous êtes et qui n'aurait pas sa place sous un régime communiste.
Devant la menace qui pèse sur ce pays et sur l'univers, comment pourrais-je vous inviter à la joie ? Je n'ai à vous proposer, comme Winston Churchill jadis à l'Angleterre, que « du sang, des sacrifices et des larmes ». Je n'ai à vous offrir que la vie dans sa plénitude, le coeur qui bat pour de grandes choses, l'allégresse du combat, l'honneur de souffrir, la pureté de l'espérance. La vie, voyez-vous, c'est beaucoup plus et c'est beaucoup mieux que la seule joie. Souvenez-vous des paroles sublimes de Goethe :
"Les Dieux infinis donnent tout
A ceux qu'ils aiment, tout.
Toutes les joies, infinies,
Toutes les souffrances, infinies,
Tout".

L'Appel de la Patrie.
Soyez, mes amis, de ces êtres aimés des Dieux, refusez le bonheur des petites âmes manoeuvrières qui essaient de profiter de tout et cherchent leur satisfaction à l'abri de leur caste, au milieu du malheur de leur pays. Si vous cherchez la joie, cherchez la joie la plus haute : celle du don de soi, celle du sacrifice pour la patrie, celle de l'effort vers un monde nouveau ; la joie de pouvoir donner à votre tour l'existence au pays qui vous a faits ; la joie de donner l'exemple, la joie de donner confiance, la joie d'être ce qu'il y a de plus noble au monde : un donateur ; la grande joie plus grande que la souffrance, celle d'être quelqu'un et de souffrir pour quelque chose, celle d'être un homme qui devient libre en devenant soi-même au service d'une Cause plus grande que lui.

Le Vietnam sera sauvé par vous.
Jeunes hommes de l'élite vietnamienne auxquels je me sens attaché comme à la propre jeunesse de ma terre natale, le moment est venu pour vous de défendre votre pays. Au soleil de l'Indépendance il faut encore de la sueur et du sang pour faire lever la moisson des hommes libres. La jeunesse intellectuelle du Vietnam a aujourd'hui sa place dans cette grande tâche, aux côtés de la jeunesse paysanne. J'ai confiance en vous. Vous êtes l'espoir qui n'a pas failli et qui ne sera pas déçu. Je crois que le monde sera sauvé par quelques-uns. Je crois que le Vietnam sera sauvé par vous.


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