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En forêt vierge


An Lôc, le 21 mars 1951

J'aurai demain huit jours de brousse à mon actif. Jeudi dernier, les pouvoirs officiels se sont enfin émus et l'ordre m'a été donné de quitter Saigon. J'ai pris la route avec une jeep, un chauffeur, un pistolet et mes bagages et je me suis retrouvé à la frontière de l'Annam, au milieu des plantations de caoutchouc. Un capitaine barbu m'a offert à dîner en me disant : "Je suis très content de vous voir. Après-demain nous partons en opération ".

Samedi matin, je m'ébranlais donc, harnaché en guerre : chapeau, guêtres, ceinturon, bidon, pistolet, boussole, carte, lampe électrique, pilules anti-paludisme, comprimé antidysenterie, liquide anti-moustiques, suivi de mon porteur, civil à gages qui trimballait mes provisions dans une hotte de Père Noël. Aux premières heures du jour, je franchissais en pirogue la rivière Donaï qui sépare la région pacifiée de la zone viêt minh. Un prisonnier avait déclaré que les rebelles se regroupaient dans un village brûlé la saison précédente. Aussi, colonne par un et en tapinois, nous nous préparions à les surprendre.

Pendant deux jours, j'ai marché courbé en deux sous les taillis, tordu par les branchages, butant dans les souches ; je me suis pris le pied dans les lianes, qui semblent inoffensives mais qui se balancent à votre passage pour mieux vous envelopper ; je suis resté accroché à des buissons épineux dont je ne pouvais me défaire qu'en tournant plusieurs fois sur moi-même comme une toupie. J'ai escaladé des monticules, j'ai dégringolé des ravins, j'ai traversé une rivière en sautant de rocher en rocher et, mes souliers à clous ayant glissé, je me suis retrouvé à cheval sur un récif submergé, mon chapeau indiquant seul l'endroit où j'avais disparu. J'ai été mordu par les fourmis rouges qui tombent des feuilles, piqué par les moustiques qui ne bourdonnent qu'une fois le travail terminé. J'ai vu deux serpents, un scorpion, plusieurs singes et un troupeau de sangliers furieux dont nous avons eu beaucoup de peine à éviter la charge. J'ai eu froid chaque matin, j'ai transpiré abondamment toute la journée ; le premier soir, j'ai été pris sous une tornade épouvantable qui m'a glacé jusqu'aux os. Et, quand, après deux jours de préliminaires héroïques, nous parvînmes sur le lieu du combat, il n'y avait personne. Les renseignements du prisonnier étaient faux. J'ai juste pu trouver une canne en bambou dans le creux d'un sillon inculte.

Après la bataille, il fallut revenir. Les lianes avaient repoussé et les buissons d'épines refermaient déjà la piste, qu'il fallut rouvrir au coupe-coupe. La radio fonctionnait mal à cause des arbres et j'ai craint un moment que l'on ne puisse pas prévenir les pirogues d'avoir à nous rechercher. Enfin, je suis rentré ; des ampoules aux pieds, car mes chaussettes mouillées avaient rétréci, les jambes, les bras et la figure couturés par les ronces qui déchiraient même à travers l'étoffe, la peau des mains enlevée par les rochers, mon portefeuille moisi, la mine de mon crayon liquéfiée, mon bracelet-montre fondu, collant au poignet comme du sparadrap, le ventre enduit de rouille par la boucle de mon ceinturon, l'intestin dérangé par l'eau sale que j'ai bue, l'estomac agité (je ne sais pas pourquoi), la tête tournant au soleil, les bords de mon chapeau pendant lamentablement comme les ailes d'un bicorne après l'orage. A minuit, quand je regagnais ma chambre, le capitaine m'a dit : "Heureusement que c'est la saison sèche ; sans quoi vous auriez vu, avec les sangsues ! "

Ne croyez pas que mon moral soit entamé pour autant. Il y a des moments fort agréables : de 7h du soir à 7h du matin, il fait noir ; on est forcé de s'arrêter et je vous assure qu'on dort bien.

Lieutenant Guy SIMON

IVème Compagnie du 22ème RIC (Province de Bien Hoa)


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