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La réorganisation de l'Indochine française (1941)


Aucun de ceux qui, à un titre quelconque, ont eu une part dans l'administration de la Fédération Indochinoise ne nous contredira si nous affirmons que par son organisation administrative, par son régime intérieur, par sa structure économique, par ses moyens militaires, elle n'était nullement préparée à résister à la tourmente qui s'est abattue sur le monde.

Organisation administrative
L'Indochine est un grand pays de 24 millions d'âmes. C'est une fédération d'éléments très divers. Une colonie d'administration directe : la Cochinchine. Trois protectorats : l'Annam, le Cambodge, le Laos. Un pays que nous administrons directement : le Tonkin, bien qu'il demeure sous la souveraineté nominale de l'Annam représenté par un vice-roi.
Le Gouverneur Général chargé d'administrer et de gouverner cet ensemble hétéroclite est un homme pratiquement sans pouvoir.
A des milliers de kilomètres de la Métropole, il reste en toute matière étroitement prisonnier des bureaux de la rue Oudinot. Le ministre, par câble, souvent sans explication, lui dicte ses volontés ; ses collaborateurs les plus directs, secrétaire général, chefs des grands services, sont nommés directement par la Métropole sans qu'il ait été consulté ; certains d'entre eux (douanes, postes, trésor) continuent à appartenir au cadre métropolitain et sont souvent en hostilité ouverte contre le chef de la Colonie ; il leur est arrivé d'être appelés directement par avion auprès du ministre qui leur donne ses directives personnelles.
Comment peut-on remédier à tous ces graves défauts ?
L'Indochine est composée d'éléments trop divers pour que l'on puisse songer à les rassembler actuellement dans une formule unique et, d'autre part, nous pouvons trouver dans cette diversité même un renforcement de puissance et de sécurité, mais il est essentiel que l'homme qui a la charge et la responsabilité de mener cet attelage ait en mains toutes les rênes.
Il n'est pas question de l'affranchir des directives que le Gouvernement métropolitain a le droit et le devoir de lui donner, mais il doit être maître absolu de son personnel.
Si nous admettons en particulier l'obligation de soumettre son budget à l'approbation du Gouvernement qui peut en tous temps, par ses inspections, procéder à certaines vérifications, il nous paraît parfaitement inopportun de superposer aux organismes financiers de la Colonie une Direction du Contrôle financier, organe métropolitain, dont le visa est nécessaire pour toutes les dépenses, même les plus minimes.

Régime intérieur
La Cochinchine a connu après la conquête, sous le gouvernement des amiraux, une période d'administration semi-directe. Des fonctionnaires civils et militaires étaient simplement détachés auprès des hautes autorités administratives indigènes pour assurer le contrôle de la justice et des finances et veiller à notre sécurité. Ce procédé tenait compte du fait que nous arrivions dans un pays déjà organisé, mais qui souffrait simplement d'un certain désordre administratif dû surtout à la faiblesse du pouvoir central, à l'indépendance consécutive des mandarins et à la concussion. Ce système prévalut encore lorsque par le jeu des traités ou des conquêtes notre domination s'étendit à toute l'Indochine.
Peu à peu, cependant, l'emprise administrative française s'incrusta en profondeur et les cadres indigènes durent céder la place à des cadres français.
Les mandarins, les notables, les familles dirigeantes se replièrent sur leurs terres, conservant sur la population une influence occulte que la dépossession dont ils étaient victimes rendait assez malveillante à notre égard.
Lorsqu'au début de ce siècle on s'avisa qu'en Cochinchine et au Tonkin il était vraiment inadmissible que l'indigène n'eût plus aucune part à la gestion de son pays, on fit appel à quelques conseillers annamites.
Ils furent malheureusement choisis d'une manière assez déplorable parmi des éléments douteux ; intrigants et serviles (anciens interprètes ou domestiques), ils ne jouirent jamais de la considération nécessaire ni auprès du gouvernement qui les employait, ni auprès de ïeurs compatriotes qui conservaient pour les anciennes familles le respect traditionnel.
Ce fut là l'origine du grand malaise indochinois. Ce malaise s'aggrava par la suite pour des causes que nous allons essayer de définir.
La première de ces causes fut l'instruction distribuée sans donner aux éléments instruits la place qui leur revenait dans la société franco-annamite. Un peuple déjà évolué comme l'était ie peuple annamite ne peut pas être maintenu dans l'ignorance. Mais l'instruction doit être dosée dans la mesure où les éléments instruits trouveront place dans les cadres sociaux, et il faut être décidé à leur laisser cette place à laquelle ils ont légitimement droit.
Le gouverneur général Long nous disait déjà quelques mois avant sa mort : « J'ai en Indochine des centaines de licenciés auxquels je n'ai pas d'emplois à donner ; c'est un grave danger ».
La situation de ce point de vue n'a fait que s'aggraver, d'abord parce que le nombre des éléments instruits a suivi une progression géométrique et ensuite parce que la partie cultivée du peuple annamite ne peut que faire un rapprochement entre son pays et les pays voisins, comme le Siam par exemple, sans parler de la Chine ou du Japon, où l'asiatique s'est révélé apte à se diriger et s'administrer tout seul.
Lorsque le Gouvernement Français a senti le danger et reconnu la nécessité de faire quelque chose pour l'Annamite, il l'a fait dans le mauvais sens en se préoccupant de donner à l'indigène des droits politiques. On élargissait le collège électoral de certaines assemblées pour y faire place à l'indigène. C'était lancer ce dernier dans des luttes politiques stériles auxquelles prenaient part surtout les éléments les plus agités.
Quand le danger révolutionnaire prenait corps, on s'efforçait de l'écarter en réduisant le pouvoir des assemblées.
Le seul résultat de ce jeu d'accordéon était d'exaspérer les passions.
Oh ! Sans doute, nous avons ouvert aux indigènes les cadres de nos administrations, mais combien timidement ! L'Annamite est toujours maintenu dans des emplois subalternes avec une solde très inférieure qui ne lui permet pas d'élever son standard de vie.
Un sacro-saint principe ne permet pas de subordonner un européen à un asiatique et l'Annamite licencié, diplômé de nos grandes écoles, demeurera éternellement sous l'autorité d'employés français d'une culture souvent très inférieure à la sienne. L'armée seule a montré plus de largeur de vue en donnant aux Annamites sortis de Polytechnique ou de St-Cyr accès aux plus hauts grades.
Il faut absolument se résoudre à la seule solution logique : « A mérite égal, égalité des droits ». C'est à nous de ne pas diriger vers notre Colonie les fruits secs ou les rebuts de nos administrations.
Il est une autre cause de malaise en rapport étroit avec la précédente, mais dont les fondements sont plus profondément moraux. Nous n'avons fait aucun effort sérieux pour le rapprochement des deux races. Revenant en Indochine après trente ans d'absence, nous constations avec regret et chagrin qu'aucun progrès n'avait été réalisé de ce point de vue.
Voilà un pays auquel, matériellement, nous avons tout donné, la richesse, le bien-être, des services sanitaires merveilleusement outillés. Nous avons vu en 1938 des Annamites gras, ce qui était inconnu en 1908 ; la jeunesse des écoles est solide et bien plantée, c'est une régénération totale de la race qui est notre oeuvre.
Nous avons tout donné, oui, sauf notre coeur! Un ami annamite nous disait un jour : « Mes compatriotes aiment bien la France, oui, mais ils n'aiment pas les Français ». Et c'est vrai ! Les indigènes reconnaissent en la France une nation généreuse et douce, la seule dont la domination soit supportable, mais ils souffrent du mépris dans lequel les tiennent les Français.
Nous fûmes un soir invité à un grand bal que donnait la Société des Universitaires. Cette société groupe tous les Annamites ayant suivi en France les cours de nos facultés ou de nos grandes écoles. Nous retrouvâmes là des gens charmants et accueillants, ingénieurs, architectes, médecins, avocats, fonctionnaires. Nous n'étions que deux Français et notre compatriote était là en service commandé pour représenter le Gouverneur. Aucun des directeurs de services, aucun des chefs des grandes maisons commerciales ou industrielles n'avait daigné se déranger et le Président nous disait avec un sourire où perçait un peu d'amertume : « Nous les avions pourtant tous invités ».
Enfin, une dernière cause de malaise est certainement l'hostilité manifestée durant plus d'un tiers de siècle à l'égard des éléments catholiques par l'administration coloniale française. Lorsque nous intervînmes en Indochine, les missionnaires français, espagnols et portugais avaient déjà fait une oeuvre importante. Les premiers éléments qui vinrent à nous furent les catholiques et, pendant de longues années, ce fut chez eux que l'administration française trouva son meilleur appui. L'influence catholique alla donc grandissante et c'est parmi les catholiques que furent recrutés les cadres subalternes indigènes. Le quôc ngu qui les avait libérés de l'étude ardue des caractères chinois, le latin que beaucoup connaissaient les mettaient à même de s'initier rapidement à la langue française.
L'introduction de l'anticléricalisme écarta résolument les missionnaires et leurs ouailles, en même temps que le développement de l'instruction purement laïque créait une nouvelle classe de « lettrés ». Cette nouvelle classe, nous ne discuterons pas sa qualité culturelle, mais moralement elle est très inférieure à la précédente. La religion annamite n'existe pas, en ce sens qu'elle ne repose sur aucun dogme, ni sur des préceptes moraux fondamentaux comme toutes les grandes religions humaines. L'annamite, dans son ensemble, ne connaît que le culte des ancêtres. Dès que nos concepts interviennent pour libérer l'individu de cette chaîne qui le relie à ses ancêtres en brisant le premier maillon qui est l'obéissance passive, totale, absolue à ses pères et mères, cet individu se trouve pratiquement sans religion. Il est alors en proie à une crise morale qui cause actuellement de grands ravages parmi la jeunesse annamite.
Ayant ainsi mis à nu, avec une franchise brutale, ies plaies dont souffre l'âme annamite, nous n'en sommes que plus à l'aise pour dire que ce peuple, qui a quelque motif de se plaindre des français, a montré dans nos malheurs un attachement très réel à la France. Nous en avons eu maints exemples touchants.
Mais le jour où la France reprendra sa place de nation protectrice, elle ne devra pas oublier que les Annamites l'ont vue abattue, faible, débile et qu'ils ont connu les victoires exaltantes d'autres nations jaunes. Nous devrons tout faire pour reconquérir l'âme annamite, pour attacher ce peuple à nous par les liens solides d'une association confiante et cordiale. Pour cela, il faudra donner aux Annamites leur place dans les administrations, dans les assemblées, et dans la société. « A mérite égal, droits égaux ».
Cependant, à côté des indigènes, il existe deux autres catégories d'Indochinois fort intéressantes : ce sont les Français nés en Indochine de société française et les métis. Les uns et les autres sont en nombre de plus en plus considérable et ils ne trouvent ni les uns ni les autres dans les cadres de l'Indochine la place qui leur revient.
Nous estimons donc que, dans la refonte du régime intérieur indochinois, il doit être formellement admis que la majeure partie du personnel des administrations publiques ou privées sera recrutée sur place parmi les Français nés en Indochine ou y faisant leurs études, les métis et les indigènes. Mélangés actuellement sur les bancs du lycée, ils concourront ensemble pour l'obtention des places disponibles.
La métropole ne pourra plus déverser sur l'Indochine ses résidus politiques, ses non-valeurs. Elle n'exportera vers notre Asie que des personnalités fortes, capables d'être des animateurs et des guides et ayant une valeur d'exemple, pour être mis à la tête des grands services, ou dans les cadres subordonnés juste le temps qu'il faut pour la formation d'élites françaises coloniales.

Structures économiques
L'économie indochinoise est mal équilibrée ; la prépondérance agricole est considérable.
Le « Pacte Colonial » où se cristallisaient les égoïsmes des industriels métropolitains interdisait en quelque sorte à nos pays d'outre-mer de s'industrialiser. Tous les capitaux de France ou de l'étranger cherchant un investissement dans nos colonies se sont donc tournés vers l'agriculture et le commerce.
L'un des résultats les plus regrettables fut de négliger tous les produits du sol et du sous-sol qui n'eussent pu acquérir une valeur d'exportation qu'au prix d'un traitement industriel préalable.
Mais une autre conséquence, la plus grave à notre avis, fut d'accentuer le paupérisme des régions les plus peuplées du Tonkin.
Lorsque, venant des riches provinces de Cochinchine, on aborde le delta tonkinois, on est frappé de la misère dans laquelle se débat la population. Au long des routes, ce sont de longues théories de lourdes charrettes traînées à bras d'hommes et partout de mendiants loqueteux assaillant votre voiture.
En apportant l'hygiène, les vaccins, nous avons réduit considérablement la mortalité infantile et pratiquement supprimé les épidémies qui périodiquement ravageaient le pays. La conséquence est la surpopulation. Le nombre des habitants du Tonkin a plus que doublé en 35 ans.
On a pensé naturellement à reverser sur d'autres régions ce surcroît de population. Mais le Tonkinois du delta vit mal dans la montagne ; l'émigration vers la Cochinchine, où de belles terres restent encore à mettre en valeur, a été mal accueillie. Le Tonkinois veut bien aller gagner sa vie pour des travaux saisonniers, mais répugne à porter définitivement ailleurs ses dieux lares.
Les deux seules solutions sont l'augmentation du rendement agricole par d'importants travaux hydrauliques et l'industrialisation du pays.
Le Tonkinois est très habile et travailleur. Il fait un très bon spécialiste d'industrie. Les hauts salaires lui permettront de vivre en achetant au besoin des produits d'importation.
Mais, dit-on, vous allez créer un prolétariat ouvrier avec tout ce que cela comporte de soucis pour l'administration et le Gouvernement ! Evidemment oui, mais c'est inéluctable. L'industrie est une nécessité. Un pays sans industrie ne pourra jamais élever son niveau de vie.
Et puis, l'expérience de la guerre a prouvé qu'une Colonie coupée de la Métropole ne peut vivre que si elle a appris à travailler elle-même les produits de son sol.

Organisation de la défense
Lorsque la guerre éclata en 1939, l'insuffisance de nos moyens défensifs se révéla immédiatement. D'où provenait cette insuffisance, alors que depuis plusieurs années de grands programmes étaient élaborés, des crédits importants alloués et l'emprunt de 430 millions de 1938 en grande partie dévoré ?
On peut répondre sans hésitation : de la subordination trop étroite à la Métropole. Le moindre plan devait être soumis dans tous ses détails au Ministère des Colonies et, par ailleurs, aucun virement de crédit n'était possible. Il fallut la guerre, la débâcle de 1940 pour que le Général Commandant Supérieur puisse s'affranchir de cette tutelle qui apportait à tous les travaux des retards considérables.
D'autre part, l'armement ne nous était distribué qu'au compte-gouttes et nous ne recevions en général que des vieux matériels dont l'Etat-Major de l'armée ne voulait plus et qui, pour la plupart, étaient mal adaptés à la guerre coloniale.
Evidemment, nous ne pouvions avoir la prétention de soustraire les forces d'Indochine au contrôle de la Métropole, d'autant plus que, dans l'organisation future, toutes les dépenses impériales telles que l'équipement défensif des points d'appui et des grandes bases navales incombera à la Mère Patrie.
Mais c'est dans une grande autonomie que nous pourrons trouver la souplesse indispensable de conception et de réalisation.
L'organisation de la future armée indochinoise, son matériel, son recrutement, son instruction mériteraient une étude spéciale. Nous insisterons simplement pour qu'elle comprenne au Tonkin des unités adaptées à la guerre de montagne et en Cochinchine des unités spécialisées dans la guerre fluviale.
Tout l'Ouest Cochinchinois vit sur l'eau. On a construit à grands frais de belles routes-digues qui permettent aux gouverneurs, administrateurs, hommes d'affaires, touristes des déplacements rapides. Ils vont vite, ne voient rien, ignorent tout de la vie locale indigène uniquement orientée vers ses rivières et canaux.
Dans nos jeunes années, quand tous les déplacements se faisaient en vapeurs ou en jonques, nous avions été déjà frappé de ce grouillement de la vie annamite sur ses voies d'eau. Nous avons de 1938 à 1941 retrouvé la même impression dans nos déplacements à bord des deux seules canonnières dont disposait le général commandant la division de Cochinchine.
L'armée indochinoise devra posséder un grand nombre de vedettes rapides, courtes, bien armées et des remorqueurs pouvant traîner des chalands de troupes.
La conquête de la Cochinchine a été faite par eau ; c'est en grande partie par l'utilisation des voies d'eau que la Cochinchine luttera contre l'envahisseur.

Toulon, novembre 1941

Général de Division de RENDINGER
ancien commandant de la Division de Cochinchine - Cambodge (1938-1941)


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