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>Le temps de la paix>La politique des Amiraux-Gouverneurs

 

La politique indigène des Amiraux-Gouverneurs de la Cochinchine

(1859 - 1879)

En dépit de la nature marécageuse du sol, d'un climat hostile, de la force de résistance des troupes annamites - force de résistance qui étonna les officiers ayant fait l'expédition de Chine - la conquête militaire de la Basse-Cochinchine fut chose relativement aisée. Les difficultés commencèrent avec la période d'installation. « Jamais colonie n'eut à surmonter de pareils obstacles à ses débuts ». Les Français s'avançaient, en effet, dans l'inconnu ; ils ignoraient tout du pays, sa géographie, ses institutions, ses usages, sa langue.

Les Amiraux chargés des destinées de la Colonie naissante durent improviser non seulement tout un système administratif, mais une doctrine de gouvernement. Convaincus de l'impuissance de la force à asseoir les empires, ils adoptèrent pour phare conducteur, pour fondement de leur action, le souci du bien-être du pays, le souci des intérêts matériels et moraux des populations indigènes. Ils s'efforcèrent, non pas de démolir, de niveler, mais de restaurer, de construire.

Au point de vue politique, les Amiraux-Gouverneurs s'attachèrent à « fermer les plaies de la conquête » ; ils réprimèrent énergiquement le brigandage et châtièrent sans faiblesse les fauteurs de troubles, mais ils n'exercèrent aucune représaille inutile ; ils maintinrent l'organisation municipale et sociale et toutes les institutions qui leur parurent viables ; ils firent appel à de nombreux auxiliaires indigènes ; ils constituèrent une administration « honnête et pacifique », nullement oppressive, fondée sur une justice impartiale et équitable. Au point de vue économique, en dehors des corvées, soigneusement réglementées, les Amiraux-Gouverneurs n'imposèrent aux populations aucun travail forcé ; ils érigèrent en dogme la liberté des échanges ; s'éloignant délibérément du régime prohibitif et exclusif du vieux système colonial, ils accordèrent les franchises les plus complètes au port de Saigon, dont ils rêvaient de faire « une auberge maritime » assidûment fréquentée. Au point de vue moral, enfin, les Amiraux-Gouverneurs se gardèrent bien de soulever la question religieuse ; catholiques convaincus, persuadés que « la croix est plus puissante que le sabre pour fonder quelque chose de grand et de durable » , ils n'accordèrent cependant aucune faveur spéciale au prosélytisme chrétien, sous le signe duquel la conquête avait été commencée ; ils firent preuve d'un parfait esprit de tolérance à l'égard des cultes établis, à l'égard de toutes les croyances traditionnelles. Les Amiraux combattirent, il est vrai, les caractères chinois, «les hiéroglyphes », comme on disait alors, mais ils le firent parce qu'ils voyaient en eux « les broussailles intellectuelles de l'Extrême-Orient », un obstacle infranchissable à la diffusion des lumières venues d'Occident ; ils encouragèrent de leur mieux, en revanche, les caractères latins, l'« écriture nationale », seule capable de faire pénétrer rapidement dans le pays les connaissances usuelles, la civilisation progressiste de l'Europe.

Telle fut, dans ses grandes lignes, la pensée directrice des Amiraux-Gouverneurs. Il est impossible, dans ce court article, d'analyser en détail l'action de cette élite des Chefs coloniaux. Je me bornerai à citer quelques textes dans lesquels . on voit apparaître nettement la position prise par chacun de ces u Grands Commis » en regard des problèmes de la politique indigène.

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L'Amiral Charner

Le 13 juin 1861, l'Amiral Charner fait connaître au Ministre la politique qu'il a adoptée : « Maintenant que nos conquêtes ont atteint des limites convenables, le moment est favorable pour employer tous nos moyens à régénérer le pays, où tout est à faire, à le relever de ses ruines, à développer les éléments de bien-être qui peuvent nous attacher les populations ». Le 4 août 1861, cinq mois à peine après Chi-hoà, l'Amiral Charner lance une proclamation, dans laquelle on lit cet engagement :« Habitants de Saigon et de My-tho, la France vous adopte pour ses enfants. »

De France, avant de s'embarquer, l'Amiral Bonard, successeur de l'Amiral Charner, formule en ces termes son programme : «Il importe de ne pas violenter les moeurs, ni même les préjugés des populations. La politique d'attraction, qui doit, selon moi, dominer dans nos rapports avec les indigènes, comporte des ménagements, des précautions, peu compatibles avec la rigidité de notre législation et de notre régime militaires ». Alors que Charner avait fait de l'administration directe, Bonard s'en remet le plus qu'il peut, pour tout le détail des affaires courantes, à des chefs indigènes ; il remplace plusieurs inspecteurs français par des phus et des huyêns ; pour concentrer ses forces, mais aussi pour bien montrer qu'il entend faire confiance aux autorités locales, il supprime un certain nombre de postes militaires - suppression qui provoqua l'insurrection générale de 1862 -. L'Amiral Bonard s'apitoie sur les dévastations causées par la guerre : « On ne voit que des ruines au milieu de cités jadis peuplées et commerçantes ». Son but est d' « élever peu à peu la population annexée jusqu'à nous, en lui faisant aimer la France comme une seconde patrie » (13 avril 1862). Le Chef d'Etat-Major de l'Amiral Bonard, le Commandant de la Vaissière, déclare de son côté : « L'honneur de la force armée, c'est d'être toujours la protectrice du droit et jamais agressive » (7 octobre 1862).


L'Amiral Bonard


L'Amiral de la Grandière

L'Amiral de la Grandière, l'initiateur du protectorat français du Cambodge, le père de la Cochinchine française, trace ainsi à Doudart de Lagrée, son représentant en pays khmer, la ligne de conduite qu'il s'est imposée : «La persuasion, la bonne foi, les bons procédés, la justice sont des forces irrésistibles pour des populations abaissées et écrasées » (21 juillet 1863). Dans une brochure publiée à Saigon en 1864, le Commandant Ausart, aide de camp de l'Amiral de la Grandière, formule ainsi ce qu'il appelle le testament politique de son chef : « Nous ne devons pas rester à l'état d'envahisseurs campés dans le pays, comme les Anglais ou les Hollandais, n'ayant d'autres rapports avec le peuple que ceux du fisc. Nous devons élever les Annamites à notre niveau social, les assimiler par la diffusion des lumières de notre civilisation ».

L'Amiral Ohier recommande aux Inspecteurs des affaires indigènes de ne pas abuser des jugements administratifs, même en période d'agitation ; sinon, « on escamote la loi et prive les accusés des garanties qui leur sont dues » (27 novembre 1868). Dans l'été de 1869, l'Amiral Ohier prend une initiative hardie, celle de faire appel aux voeux des populations indigènes ; il convoque dans chaque province des assemblées des délégués des villages ; il demande à ces représentants de l'opinion indigène leur avis sur l'assiette et sur la collection des impôts, sur les charges des communes, sur l'état civil, sur les moyens de combattre l'usure, en mettant à la disposition des cultivateurs pauvres des capitaux prêtés à un taux raisonnable.

Durant la guerre franco-allemande de 1870, M. Semanne, un des chefs du parti républicain en Cochinchine, se plaint de la latitude laissée aux indigènes de faire partir des pétards sur la voie publique ; ce colon s'attire de l'Amiral de Cornulier-Lucinière, cette réponse symptomatique : l'usage des pétards, cher à la religion bouddhiste, est restreint à certaines grandes fêtes ; on ne saurait le prohiber entièrement sans froisser péniblement les indigènes. « Deux races aussi opposées, vivant côte à côte, se gênent mutuellement et doivent supporter leurs différences d'usages. Les indigènes souffrent de nos chevaux, de nos voitures, de nos règlements de police, qui contrarient leurs habitudes. Nous souffrons de temps en temps de leurs pétards. Le genre d'égalité que vous réclamez serait : tout pour nous, rien pour eux » (16 septembre 1870).

Remerciant, le 12 mai 1871, le Ministre du commerce de Huê des présents que ce dernier lui a fait tenir au nom du roi Tu-Duc, l'Amiral Dupré ajoute : « Je désire vivement que rien n'altère les sentiments d'amitié qui unissent si heureusement la France à l'Empire d'Annam, qu'au contraire, ils se fortifient et se resserrent de plus en plus. Je ferai tout ce que je pourrai pour qu'il en soit ainsi ». A l'Inspecteur Rheinhart, envoyé au Tonkin pour y remplacer Philastre, chargé de liquider, par un renoncement, l'expédition de l'héroïque Francis Garnier, l'Amiral Dupré livre le secret de sa politique : « L'objet de mes constantes préoccupations, c'est l'établissement définitif de l'influence française sur l'Empire d'Annam par des voies pacifiques » (21 janvier 1871). Devant la Commission chargée de la réorganisation de l'instruction publique (février 1873), l'Inspecteur Philastre prend la défense des caractères chinois : « Nous avons un intérêt général à honorer notre conquête, à atténuer les défauts qui lui sont inhérents, en la rendant utile au peuple conquis, en l'instruisant, c'est-à-dire en ne laissant pas déchoir le niveau de son acquis et en y apportant un nouveau contingent de savoir ». En marge du rapport de l'Inspecteur Bousigon qui, argumentant contre Philastre, préconise, au contraire, une large vulgarisation de la langue française, l'Amiral Dupré griffonne, de sa main, l'observation suivante : « Dites que, s'il y a dix pas à faire, l'Annamite en fasse sept, huit, neuf, mais ne dites pas qu'il fera tout le chemin vers la France, qui restera immobile. En équité, ce serait au contraire à nous à faire la plus grande partie du chemin, parce que c'est nous qui imposons l'état de choses actuel ». Dans un article sur La Cochinchine en 1871, un officier de marine de l'entourage de l'Amiral Dupré écrit cette phrase qui pourrait servir d'exergue à toute l'oeuvre des Amiraux : « On souffre sur cette terre, mais nul ne l'a connue sans l'aimer, sans demeurer pénétré de l'importance des destinées qui peuvent s'ouvrir devant elle. »


L'Amiral Dupré

Loin de chercher à étendre et à affermir le protectorat, assez vague, attribué à la France sur l'Annam par le traité du 15 mars 1874, l'Amiral Duperré, l'avant-dernier et le plus rude des Amiraux-Gouverneurs, minimise l'application de ce traité. Comme ses prédécesseurs, il pratique à l'égard de la Cour de Hué une politique de ménagements et de conciliations. Il envoie de nombreux boursiers annamites faire leurs études dans des collèges catholiques de la Métropole, en prenant soin de rappeler que ces jeunes Annamites sont bouddhistes et qu'on devra respecter à leur sujet la liberté du culte.

L'Amiral Lafont enfin, à.peine débarqué en Cochinchine, expose aux Administrateurs son programme :« Notre devoir est de rendre les populations placées sous votre autorité aussi heureuses que possible... Voyez-les le plus souvent que vous pourrez... Répétez bien haut que le principe de notre gouvernement est la justice, que les réclamations seront toujours examinées avec l'esprit d'équité qui nous anime »... (26 octobre 1877).

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Ces vues élevées et généreuses, que l'on rencontre à tout instant sous la plume des Gouverneurs militaires de la Cochinchine n'ont pas cessé, cela va sans dire, d'inspirer à leur tour les Gouverneurs civils, leurs continuateurs.

La politique coloniale de la France n'est pas, en effet, une question de régime. Fondée, non sur le mépris, non sur le dédain, mais sur l'estime, sur la sollicitude, sur l'affection, la doctrine n'a jamais variés, ni dans l'espace ni dans le temps. On la retrouve, toujours identique à elle-même, sous l'ancienne monarchie, à la période qui nous occupe, sous le césarisme autoritaire, puis libérale sous la République conservatrice, opportuniste, radicale. La doctrine ne ressortit pas à une mode politique passagère ; elle exprime le génie profond de la race, le coeur et l'esprit du Français, nourri d'idéalisme chrétien. Les philosophes du XVIIIe siècle peuvent être considérés comme les fils spirituels des Croisés du Moyen Age. Jamais peuple n'a été, plus que le peuple français, pénétré de la foi dans l'éminente dignité de l'homme, être raisonnable. Jamais politique coloniale n'a été plus humaine, au sens le plus noble du terme, plus modérée, plus scrupuleuse, plus compréhensive, plus bienfaisante et salvatrice.

Se comportant, non pas en conquérants brutaux, en dominateurs égoïstes, mais en pacificateurs, en organisateurs, mainteneurs et novateurs à la fois, les Amiraux-Gouverneurs de la Cochinchine n'ont fait que demeurer fidèles à la politique traditionnelle de la France. Messagère d'idéal et de progrès, juste, droite et loyale, compatissante à toutes les infortunes, fraternelle à tous les peuples venus au-devant d'elle, la France peut s'enorgueillir à bon droit de son oeuvre. Elle s'honore d'avoir établi son Empire sur des bases inébranlables, s'étant assigné pour objectif, non pas la conquête des territoires, la possession des biens matériels, mais, selon la belle expression d'Auguste Pavie, « la conquête des coeurs ».

Georges Taboulet



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