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>Le temps de la conquête>L'affaire de Muong Sing

 

L'affaire de MUONG SING (1893-1896)

Muong Sing est un gros village du Nord-Laos de 1.000 habitants environ, situé à deux jours de marche du Mékong (qui fait frontière dans cette région avec la Birmanie) et à quelques heures de la frontière du Yunnan. Le site est remarquable : Muong Sing se trouve en bordure d'un bassin parfaitement plat, bien arrosé, occupé par de belles rizières et ceinturé de montagnes de tous côtés. La petite plaine, de quelques 60 kilomètres carrés, est à 800 mètres d'altitude. Elle comporte au total une dizaine de villages ; les habitants sont des Taïs, mais pas des Taïs-Laos. Ils appartiennent en effet pour la plupart à une ethnie qui est majoritaire dans toute la région, de part et d'autre des frontières, les Taïs-Lu.
La montagne est peuplée - très peu - de cultivateurs sur brûlis, d'ethnies très diverses : Yao et Méo, cultivateurs d'opium, ou sino-tibétains (Kha Kho, Koui, Mousseu), cultivateurs de riz.
Tous ces villages, de plaine ou de montagne, composent le district, le Muong, de Muong Sing, dont Muong Sing est le chef lieu.
Trois traits particuliers marquent Muong Sing :
- Le village a été construit suivant un plan en damier : c'est un cas unique au Laos. Il était autrefois entouré d'un rempart de terre, dont il restait encore quelques vestiges au moment du départ des Français. Jusqu'en 1920, Muong Sing était le siège d'une principauté. Le prince, qui portait le titre de Chao Fa, n'avait plus aucun pouvoir depuis 1920, mais sa famille a continué à occuper une grande maison sur pilotis, modeste palais princier, au centre du village.
- Sa prospérité tenait à sa situation sur un chemin muletier très fréquenté par des caravanes de commerçants chinois, qui y faisaient souvent halte.
- Muong Sing a connu pendant la dernière décennie du XIXème siècle quelques années de notoriété lorsque les gouvernements français et britanniques se sont disputé la principauté.
Ces heures de gloire vont être évoquées ici ; la rivalité s'est terminée en 1896 à l'avantage de la France. On évoquera à ce propos un autre conflit territorial franco-anglais qui prit naissance au même moment, et qui se solda deux ans plus tard, en 1898, par un cuisant échec français. Il s'agit de Fachoda, sur le Haut-Nil soudanais. Pour Philippe Preschez, l'historien des relations franco-birmanes (1), l'affaire de Muong Sing prit en 1895-1896 "les dimensions d'un petit Fachoda oriental". L'affaire de Muong Sing est née du traité franco-siamois du 30 octobre 1893 par lequel "le gouvernement siamois renonçait à toute prétention sur la rive gauche du Mékong et sur les îles du fleuve" (article 1er du traité). Il reconnaissait donc l'appartenance à la France des pays laotiens, mais sans préciser les limites nord de ces concessions siamoises. Or l'histoire des régions du Haut-Mékong - partie orientale des Etats Shans birmans et Yunnan méridional - avait été particulièrement complexe au cours des siècles, ces régions ayant subi, tour à tour ou simultanément, les dominations chinoise, birmane et siamoise. C'était notamment le cas de la principauté de Muong Sing, qui paraissait relever vers 1890 du petit royaume siamois de Nan, et de celui de Xien Toung, l'un des principaux Etats Shans. D'où les prétentions concurrentes de la France, fondées sur le traité du 3 octobre 1893, et de la Grande Bretagne, qui s'estimait héritière des droits birmans depuis 1885, date de l'occupation de la Haute-Birmanie par les armées britanniques.
En réalité, plutôt que de la principauté de Muong Sing, c'est de celle de Xieng Kheng qu'il s'agit ; à cette époque, la principauté s'étend de part et d'autre du Mékong. Xien Kheng est un gros village de la rive droite, et le territoire de Muong Sing correspond à la partie rive gauche. Le Chao Fa lui-même résidait à Xieng Kheng jusqu'en 1886, date à laquelle il s'est installé à Muong Sing.
La rivalité franco-britannique commença par revêtir la forme de négociations, au cours desquelles l'attitude britannique prit à plusieurs reprises un caractère suspect. Elle atteignit son point culminant en 1895, pour se résoudre brusquement en janvier 1896.

1ère phase : octobre 1893 - avril 1895 : des pourparlers ambigüs

Les Britanniques réclamaient la création d'un "état-tampon" entre l'Indochine française et la Birmanie anglaise. Le Siam devait en faire partie, de même que, plus au nord, sur les deux rives du Mékong, la principauté de Xieng Kheng.
Quelques mois avant le traité franco-siamois du 3 octobre 1893, les Britanniques avaient d'ailleurs reconnu les droits du Siam sur le Xieng Kheng, espérant ainsi couper court à d'éventuelles prétentions françaises. La déclaration anglaise était subordonnée à une promesse siamoise de non rétrocession à une tierce puissance.
Après le traité de 1893, un protocole franco-anglais fut signé le 25 novembre à Paris, portant décision de créer une commission mixte chargée d'étudier sur le terrain les limites de la zone tampon.
Cependant il apparut bien vite que la position officielle des Britanniques masquait leur ambition d'annexer la principauté de Xieng Kheng à la Birmanie anglaise. En effet, avant que la commission mixte ne soit mise sur pied, une mission anglaise dirigée par un représentant du Haut Commissaire en Birmanie, GCB Stirling, arrivait à Muong Sing le 29 mars 1894, informait le Chao Fa que Xieng Kheng appartenait toujours aux Britanniques, le transfert aux Siamois ayant été annulé et demandait en conséquence la remise des fleurs d'or et d'agent : tribut symbolique d'allégeance, traditionnel dans ces régions.
Devant le refus de Chao Fa qui venait d'envoyer ce même tribut de vassalité à Bangkok, Stirling quitta Muong Sing, annonçant qu'il reviendrait l'année suivante.
En fait, Stirling revint à Muong Sing dès la fin de l'année 1894, mais comme membre de la commission anglaise dirigée par Scott, qui devait faire parte de la commission mixte prévue par le protocole du 25 novembre 1893. Or l'arrivée des deux commissions avait été fixée au 1er janvier 1895. Scott arriva huit jours plus tôt, le 24 décembre, avec une mission très différente de celle prévue par le protocole : il tenta en effet dès son arrivée d'obtenir du Chao Fa sa soumission à l'autorité britannique et le témoignage d'allégeance que Stirling n'avait pu obtenir en mars 1894.
Mais le Chao Fa n'avait cédé en rien lorsque les commissaires français arrivèrent à Muong Sing le 1er janvier 1895, avec à leur tête Auguste Pavie.
La commission mixte resta 15 jours à Muong Sing. D'un commun accord, la personnalité de Pavie aidant, ils mirent le Chao Fa au courant de leur mission officielle : simple enquête visant à renseigner les gouvernements respectifs, seuls habilités à prendre une décision définitive sur l'avenir de la principauté. Et le 15 janvier, avant de se quitter, Scott et Pavie constatant l'impossibilité d'établir des propositions communes, signèrent un "accord de statu quo", d'après lequel aucune pression ne devait s'exercer désormais sur le Chao Fa.
Après cet accord, deux mois furent utilisés par les commissaires en explorations, relevés et recherches de renseignements. Ils se réunissaient périodiquement à Xieng Khong, petit village des bords du Mékong, en face de Ban Houei Sai. Leur dernière réunion, le 2 avril 1895, les confirma dans leur opposition totale, Pavie soutenant les droits de la France sur la partie "rive gauche" de la principauté de Xieng Kheng, Sott estimant que la totalité du Xieng Kheng devait revenir à l'Angleterre.
Mais au même moment le gouvernement de Londres prenait l'initiative de rompre les pourparlers et d'utiliser la force en violation de tous les accords passés.

2ème phase : avril - décembre 1895 : la crise ouverte

Le 12 avril 1895, Stirling, de retour à Xieng Toung, reçoit en effet l'ordre de se rendre immédiatement à Muong Sing, où il arrivera le 4 mai, avec un détachement comprenant 2 compagnies de Gurkhas et 1 peloton de cavalerie Sikh, aux ordres du capitaine Caulfield. Il constate que le Chao Fa s'est enfui et a gagné le Yunnan tout proche.
Stirling prend alors en main l'administration de la principauté. En août, il ordonne aux ministres de percevoir les impôts ; devant leur refus, il fait arrêter en novembre les neuf principaux ministres et menace de les déporter en Birmanie. De sa retraite, le Chao Fa leur interdit d'exécuter les ordres de Stirling ; le 12 novembre, il vient se placer sous la protection française à Vieng Poukha, à proximité des limites sud de sa principauté. Il est alors destitué par les Anglais et "privé de tout droit à toute autorité dans tous les territoires soumis à l'autorité de Sa Majesté britannique".
Pour Ph. Preschez, "l'affaire de Muon Sing prenait dès lors l'aspect d'un conflit territorial déclaré".
Cependant Londres et Paris s'acheminent vers un accord.

3ème phase : l'accord Couyrcel-Salisbury du 15 janvier 1896

Au moment où le gouvernement anglais raidissait sa position sur place à Muong Sing, des négociations étaient menées à Londres par notre ambassadeur Courcel avec le gouvernement du Premier ministre Salisbury. Dès la fin de 1895, grâce aux informations communiquées par Pavie, Courcel disposait d'arguments très solides en faveur de la position française, d'après laquelle tous les territoires laotiens de la rive gauche, jusqu'à la frontière du Yunnan, appartenaient au Siam avant le traité du 3 octobre 1893.
En effet, les troupes siamoises du prince de Nan avaient conquis, dans les premières années du dix-neuvième siècle, le royaume de Xieng Toung et la principauté de Xieng Kheng. A plusieurs reprises le Chao Fa avait fait acte d'allégeance à la cour de Bangkok en y envoyant les fleurs d'or et d'argent. Mais les Siamois se désintéressèrent petit à petit des territoires de la rive droite pour ne prêter attention qu'à ceux de la rive gauche, à la région de Muong Sing.
Or en 1877 la famine désolait la plaine de Xieng Kheng sur la rive droite. Le Chao Fa, qui résidait dans cette ville, résolut de transporter une partie de sa population sur l'autre rive, dans la plaine de Muong Sing, mais il prit bien garde de demander préalablement l'autorisation du roi de Nan. Quelques années plus tard, en 1886, le Chao Fa, en difficulté avec son suzerain de Xieng Toung, résolut de s'installer lui-même à Muong Sing avec toute sa maison, ses dignitaires et la plupart des habitants qui résidaient encore à Xieng Kheng. Mais il ne le fit qu'avec l'assentiment du roi de Nan. En janvier 1891, il fit remettre à Bangkok au roi de Siam les fleurs d'or et d'argent. Il reçut alors un titre siamois. Un membre de la famille du roi de Nan alla occuper auprès du Chao Fa un poste de conseiller résident.
Il ne faisait donc aucun doute pour le gouvernement français que Muong Sing relevait du Siam et devait donc revenir à la France en vertu du traité de 1893. Notre ambassadeur Courcel réussit à convaincre le Premier Ministre Salisbury, revenu au pouvoir en 1895, du bien-fondé de la thèse française. Salisbury exigea, en échange de son accord, que les deux puissances garantissent l'indépendance et l'intégrité territoriale du Siam. L'accord Courcel-Salisbury fut signé à Londres le 15 janvier 1896. Sur place, les hauts fonctionnaires britanniques étaient fort déçus. Le représentant de la France, Vacle, arriva le 9 mai à Muong Sing, avec mission de prendre en charge la partie "rive gauche" du Xieng Kheng. Stirling refusa de rétrocéder les impôts qu'il venait de percevoir. Le 11 mai, les Britanniques quittèrent Muong Sing.
Au même moment, en mai 1896, Kitchener commençait la remontée du Nil en direction du Soudan et le capitaine Marchand s'apprêtait à quitter le Gabon en direction du Haut-Nil. Il arrivait à Fachoda en juillet 1898. Le 25 septembre, Kitchener se présentait devant le fortin sur lequel flottait le drapeau français. Une vive tension s'ensuivit ; les deux pays commencèrent des préparatifs militaires. L'Angleterre se montra intraitable. La France céda et Marchand évacua Fachoda. Le souvenir de Muong Sing n'était sans doute pas absent de l'esprit des Britanniques dans leur détermination au Soudan.

(1) Philippe Preschez : Les Relations franco-birmanes au 18ème et 19ème siècles. Revue France Asie n°189 et 190 - 1967

Commissaire Général Luc LACROZE


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